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«Heureux qui comme Ulysse» est sans aucun doute le plus célèbre des poèmes de Joachim Du Bellay.
Vous en trouverez ici une analyse détaillée avec plusieurs problématiques possibles à l’oral de français.
Heureux qui comme Ulysse : Introduction
Le sonnet «Heureux qui comme Ulysse» fait partie du recueil des Regrets, publié en 1558, au retour de Du Bellay en France après un séjour de quatre ans à Rome.
Cliquez ici pour lire le poème «heureux qui comme Ulysse»
Autour des thèmes du voyage et de l’exil, Du Bellay propose un poème à la fois lyrique et critique, qui atteste de son expérience personnelle comme de son héritage et de son projet poétiques.
Poème étudié
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
Problématiques possibles sur «heureux qui comme Ulysse» :
♦ Quelles sont les marques du registre lyrique (ou élégiaque) dans ce poème?
♦ Comment sont développés les thèmes du voyage et de l’exil dans le poème?
♦ Etudiez la comparaison entre Rome et le pays natal
♦ En quoi ce poème s’inscrit-il dans le mouvement humaniste?
Ce sonnet élégiaque qui exprime la douleur de l’exil (I) se prolonge dans un parallèle entre Rome et le pays natal (II) et témoigne du projet poétique et humaniste de Du Bellay (III).
I – Un sonnet élégiaque pour exprimer la douleur de l’exil
A. Lyrisme et complainte
Comme beaucoup des autres poèmes des Regrets, «Heureux qui comme Ulysse» évoque l’expérience et les sentiments de Du Bellay.
Alors que la première strophe est écrite à la 3èmepersonne et traite d’une expérience universelle, le poète intervient directement dans les strophes suivantes.
On le constate à travers les nombreuses occurrences de la première personne du singulier («je», v. 5 et 7) et des adjectifs possessifs («mon», «ma» et «mes» sont utilisés à cinq reprises dans les dix derniers vers).
La dimension affective des possessifs est renforcée par plusieurs adjectifs évoquant à la fois le familier et la compassion: «mon petit
» (v. 5 et 13), «ma pauvre
» (v.7).
Ces éléments (première personne, expression de sentiments) renvoient au registre lyrique, tout comme l’utilisation d’une ponctuation expressive, avec des exclamations (strophe 1) et des interrogations (strophe 2).
On peut définir plus précisément ce lyrisme comme une élégie, c’est-à-dire un poème exprimant la tristesse sous forme d’une plainte douloureuse.
L’utilisation de l’interjection «hélas
» au vers 5 en est l’expression par excellence. Placée à l’hémistiche (au centre du vers), elle crée un soupir qui traduit à la fois la nostalgie du poète par rapport à son passé et son incertitude quant à l’avenir.
B. Un exil douloureux
Du Bellay a écrit les Regrets au retour de son séjour à Rome, durant lequel il a vécu difficilement l’éloignement avec son pays natal, l’Anjou (mentionné au vers 14: la «douceur angevine
»).
Cette nostalgie domine tout le poème.
Alors que le poète loue tout d’abord les mérites du voyage («heureux
» le voyageur, selon le vers 1), le passage à la première personne coïncide avec l’évocation d’un autre aspect du voyage: la douleur de l’exil.
On peut ainsi noter que la deuxième strophe est écrite au futur et sous la forme d’une longue question, ce qui traduit une pénible incertitude :
«Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?«
La répétition du verbe «reverrai-je
» aux vers 5 et 7, ainsi que la reprise de l’interrogation temporelle («quand», «en quelle saison
»), renforcent cette impression de complainte lancinante.
Le poète semble ressasser, insister, ce qui traduit la violence de sa nostalgie.
L’utilisation d’enjambements, comme aux vers 5-6 («de mon petit village/Fumer la cheminée
») et d’hyperboles, comme le «beaucoup davantage
» du vers 9, mettent également en valeur l’ampleur de cette plainte.
Transition : Dans «Heureux qui comme Ulysse», l’évocation de l’exil et la nostalgie du pays natal se prolongent dans un parallèle avec le mode de vie romain, où le lyrisme se mêle à un ton plus critique.
II – Le parallèle entre Rome et le pays natal…
A. Une comparaison rythmée et expressive
Du Bellay utilise avec virtuosité la construction formelle du sonnet pour accompagner les thèmes qu’il développe.
Après les deux quatrains initiaux, les deux tercets finaux sont entièrement dédiés à la comparaison entre les modes de vie à Rome et dans son pays natal.
A partir de l’anaphore «Plus…que» (5 occurrences dans les 6 derniers vers), le poète construit une mise en parallèle de ces deux lieux, le «plus»servant à souligner la supériorité de son Anjou natal.
La «confrontation» se fait élément par élément, le plus souvent autour d’une césure à l’hémistiche dans l’alexandrin, ce qui renforce l’effet d’opposition.
Les vers 11 à 14 sont construits ainsi, 6 syllabes étant consacrées à Rome et les 6 autres à l’Anjou :
«Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine«.
On peut souligner que le rythme semble peu à peu s’accélérer.
Le passage du quatrain au tercet crée un format plus court; alors que la première comparaison s’étend sur deux vers (v.9-10), les suivantes n’en occupent plus qu’un chacune.
Le poème progresse également vers plus d’ellipses: ainsi, le verbe «plaire
», qui accompagnait la comparaison de supériorité dans le premier tercet, disparaît dans le second :
«Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux
(…)
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin»
Le sonnet se clôt donc sur une strophe au rythme rapide et sans aucun verbe, où l’exaltation du poète semble culminer.
B. L’opposition de la froideur romaine et de la «douceur angevine»
Cette structure de plus en plus rythmée et elliptique accompagne l’opposition de la froideur romaine et de la «douceur angevine
»
Un champ lexical de la construction domine dans les vers 5 à 11, avec l’évocation de bâtiments et matériaux: «cheminée», «maison», «palais», «front», «marbre», «ardoise
».
La suite de la comparaison n’évoque plus les constructions humaines mais les éléments géographiques et naturels: fleuves et montagne (v. 1-13) puis, de moins en moins matériel, l’«air marin
» (v. 14).
Enfin, le poème se clôt sur la «douceur angevine
», expression double qui peut renvoyer au climat mais aussi à une sensation de confort et de quiétude, faisant définitivement fusionner le lieu et l’émotion qui lui est associée.
C’est en effet la douceur et l’intimité qui dominent dans la description nostalgique de la terre natale.
Le foyer à la fois géographique et familial («parents», v.4; «aïeux
», v.9) prend presque la forme d’un cocon avec la référence au «clos» (v.7), évoquant l’intimité et l’enfermement.
Dans la même perspective, la métonymie faisant de «la cheminée
» du vers 6 celle de tout le village (un élément désigne l’ensemble) renforce cette impression de partage et d’intimité :
«Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison»
A cela s’ajoute le caractère simple et humble de la vie angevine: le Liré et le village sont «petits» (v.5, 13), la maison «pauvre» (v.7), l’ardoise «fine
» (v.11).
Ces qualifications s’opposent à la grandeur froide de Rome.
La référence à des lieux chargés d’histoire et de majesté (le mont Palatin, les palais de marbre…) s’accompagne d’une critique voilée de la dureté et de l’arrogance de Rome.
Le «front audacieux
» des palais (v.10), mis en valeur par la diérèse, semble écrasant, tout comme le «marbre dur
» du vers 11.
III… au service du projet poétique et humaniste de Du Bellay
A – Références et valeurs humanistes
Le sonnet «Heureux qui comme Ulysse» est nourri de l’expérience personnelle du poète mais s’inscrit également dans un héritage et une visée plus larges.
Poète du XVIème siècle, Du Bellay s’inscrit dans le mouvement humaniste.
Ce courant met l’homme au centre de la réflexion philosophique et artistique, et œuvre pour la diffusion de la connaissance et la redécouverte de la culture antique.
Le poème que l’on étudie ici invoque d’emblée des références mythologiques: «Ulysse» (v.1) et «cestuy-là qui conquit la toison
» (v.2), c’est-à-dire Jason, sont deux célèbres héros de la mythologie grecque.
L’Antiquité romaine est également citée à travers la description de Rome: le «Tibre latin
» (v.12) comme le «mont Palatin
» (v.13) constituent des références historiques évoquant la grandeur de la Rome antique.
Dans une perspective humaniste, le sonnet de Du Bellay se nourrit donc de références érudites à la culture antique.
Mais il est intéressant de souligner que ces références sont au service d’une réflexion très humble sur la vie humaine.
Le voyage est ainsi présenté comme un moment de formation, d’apprentissage: cette idée est parfaitement traduite par la correspondance qu’établit la rime embrassée entre «voyage» (v.1) et «âge» (v.4), à laquelle s’ajoute la rime interne «usage
» (v.3, ici utilisé dans le sens d’expérience).
La valorisation de l’intimité et de l’humilité dans les vers suivants décrit un bonheur simple, savant et raisonnable, en accord avec les valeurs prônées par l’humanisme.
B – La défense de la patrie et de la langue française
L’héritage italien s’exprime à travers les nombreuses références que l’on a évoquées mais aussi dans le choix même du sonnet, forme poétique fixe venue de la Renaissance italienne.
L’utilisation par Du Bellay de la forme du sonnet vise à la fois à rendre hommage et à rivaliser.
Le poète écrit en français, et non en latin, et cherche à valoriser la littérature française face au poids de l’héritage littéraire et artistique de l’Italie.
C’est dans cette perspective que Du Bellay a aussi écrit en 1549 le manifeste Défense et illustration de la langue française: le sonnet «heureux qui comme Ulysse», et tout le recueil des Regrets, en sont en quelque sorte l’application pratique.
C’est ainsi que l’on peut lire le parallèle établi entre le pays natal et Rome à plusieurs niveaux.
Au-delà de l’expérience personnelle du poète, on peut y voir l’éloge de la France et de la langue française.
Le «séjour qu’ont bâti[ses] aïeux
» (v.9) ou le «Loire gaulois» (v.12) ont une portée plus large que des souvenirs et évoquent l’histoire française, valorisée face à la prépondérance italienne.
Heureux qui comme Ulysse : Conclusion
Du Bellay se nourrit dans ce poème de son expérience personnelle pour évoquer le voyage, l’éloignement et la nostalgie du pays natal.
Il utilise aussi avec habileté et érudition un héritage poétique complexe pour livrer une œuvre à la fois personnelle et militante.
Ce sonnet témoigne ainsi de ses valeurs humanistes et de son projet de défense de la langue et de la littérature françaises.
Ouverture possible : Le sonnet «Je ne veux point fouiller…» des Regrets.
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